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L'argent, instrument de distribution

Louis Even le mardi, 01 septembre 1953. Dans Crédit Social

Louis EvenPourquoi les créditistes parlent-ils toujours d'argent, de système monétaire, de réforme de système d'argent?

Parce que presque tous les problèmes qui nous tracassent tous les jours sont des problèmes d'argent. Pas seulement les problèmes des individus, mais aussi les problèmes des institutions, des écoles, des universités, des municipalités, des gouvernements.

Dans notre monde actuel, on ne peut pas vivre longtemps sans obtenir des produits faits par d'autres; et ces autres ont aussi besoin de nos produits. Or, on ne peut pas obtenir les produits d'autres sans les payer. Et pour payer, il faut de l'argent.

L'argent est ainsi un permis de vivre. Non pas qu'on mange de l'argent quand on a faim; ni qu'on se mette de l'argent sur le dos pour s'habiller. Mais sans argent, vous n'avez rien, excepté ce que vous pouvez faire vous-même, si vous disposez de quelques moyens de production. Sans argent, on ne va pas loin. Même ceux qui n'attachent pas leur cœur à l'argent sont obligés d'en avoir au moins un peu s'ils ne veulent pas aller trop vite dans un cercueil.

Mais c'est une invention du diable, l'argent. C'est une source de désordre. C'est un instrument de domination. C'est un outil de perdition.

C'est le mauvais usage de l'argent, la mauvaise gestion du système d'argent, qui tient du diable, qui fait tout ce que vous dites et bien d'autres choses abominables.

Mais l'argent, comme instrument d'échange et de distribution des produits, est peut-être la plus belle invention sociale des hommes. Comme instrument de distribution, remarquez bien, parce que c'est pour cela qu'il a été établi. Grâce à l'existence de l'argent, l'agriculteur qui a plus de pommes de terre qu'il lui en faut pour sa famille, mais qui voudrait des chaussures pour ses enfants, n'est pas obligé de chercher un cordonnier qui a des chaussures de trop et qui a besoin de pommes de terre. Et la même chose pour le cordonnier: il n'est pas obligé de courir la campagne pour trouver un homme qui a trop de pommes de terre et qui voudrait des chaussures.

Chacun offre sur le marché général ce qu'il a de trop. Il en obtient cette petit chose qui ne prend pas de place et qu'on appelle de l'argent. Puis avec cet argent, il choisit ce qu'il veut sur le marché général.

Ce qu'il veut: c'est là une grande qualité de l'argent. L'argent est aussi bon pour choisir du beurre que pour choisir un instrument de musique. Tout le monde accepte l'argent en retour de ses produits ou de son travail, parce que tout le monde sait qu'il pourra ensuite faire accepter cet argent par n'importe qui pour se procurer n'importe quoi.

En soi, l'argent est peu de chose, surtout l'argent moderne. Un simple morceau de papier gravé, portant le chiffre 5, vous permet d'acheter ce que vous voulez pour la valeur de cinq dollars. Et si le morceau de papier, pas plus grand, pas plus épais, porte le nombre dix, il vous permet de choisir n'importe quels produits, pour la valeur de dix dollars.

L'argent n'a pratiquement aucune valeur en soi. C'est essentiellement un chiffre qui indique une valeur, qui représente une valeur, qui permet de se procurer cette valeur.

Encore faut-il que les produits soient là!

Évidemment, il faut que les produits soient là, pour qu'on puisse en obtenir. L'argent n'est pas un produit, c'est un instrument pour distribuer des produits. On ne peut pas distribuer des produits qui n'existent pas.

Il serait absurde de prétendre nous faire vivre avec des chiffres marquant des valeurs, quand il n'y a pas de produits à obtenir pour cette valeur. Distribuez autant d'argent que vous voudrez à un homme isolé au pôle nord, ou dans un désert dont il ne peut sortir: ça ne lui servira à rien.

Mais il est aussi absurde, et plus exaspérant encore, de manquer de chiffres pour obtenir des produits qui s'offrent et dont on a besoin pour vivre.

Ce qui veut dire qu'il faut un rapport juste entre les produits portant une valeur indiquée, et les chiffres entre les mains de ceux qui ont besoin de ces produits.

C'est de la comptabilité?

Exactement. D'un côté, des produits, portant des chiffres qui s'appellent prix. De l'autre côté, des morceaux de papier, ou rondelles de métal, ou comptes de banque, avec des chiffres qui sont du pouvoir d'achat.

Quand vous pouvez mettre le signe égal entre les deux, les produits passent du producteur, ou du marchand, au consommateur qui en a besoin.

Alors, il est bon, notre système d'argent?

Il serait bon, si la comptabilité était exacte, et si les chiffres qui donnent droit aux produits étaient bien répartis. Mais le système est vicié, parce que ceux qui le conduisent tiennent faussement cette comptabilité, et aussi parce que les chiffres sont mal répartis.

Les comptables ne sont ni les producteurs, ni les gouvernements. Les chiffres commencent dans les banques; et ces chiffres ne sont pas en rapport avec la production qui s'offre, mais en rapport avec ce que le banquier pense pouvoir faire de profit sur le trafic de ces chiffres.

Au lieu d'être une simple comptabilité de service, le système d'argent a été vicié. Son contrôle a été monopolisé ; il est devenu un objet de trafic, de domination, de tyrannie, de dictature quotidienne sur nos vies.

Le cultivateur peut augmenter sa production : le comptable du système d'argent, qui est le banquier, n'augmente pas pour cela les chiffres-argent et n'en distribue pas à ceux qui ont besoin d'acheter les produits du cultivateur.

Des chiffres viennent plus abondamment quand on fait des canons, des bombes, alors que personne ne veut de ces bijoux-là. On distribue ces chiffres aux salariés des munitions, qui ne produisent rient pour le marché: cela ne peut servir qu'à grossir les prix et diminuer la valeur d'achat des chiffres.

Et quand on n'est pas en guerre, ou en préparatifs de guerre, c'est le contraire. On a vu nos grands hommes des gouvernements, dans tous les pays civilisés, permettre aux trafiquants de chiffres de mettre les peuples en pénitence pendant dix années, devant des produits qui ne se vendaient pas, faute de chiffres.

C'était criminel. Les faux comptables étaient criminels. Les gouvernements, mandatés pour le bien commun, étaient complices des criminels, laissant faire par lâcheté ou par bêtise.

Les créditistes veulent-ils chambarder tout le système?

Pas du tout. Ils trouvent très bien que l'argent moderne soit essentiellement de la comptabilité. Mais ils veulent une comptabilité juste. Ils veulent que l'argent soit ramené à sa fin propre: instrument de distribution.

Et c'est très simple. Puisque l'argent est un titre aux produits, le public doit disposer d'un pouvoir d'achat suffisant pour commander les produits dont il a besoin, aussi vite que le système producteur peut fournir ces produits.

Puis, dans ce public, chaque personne doit posséder une part suffisante de ce pouvoir d'achat, puisque chaque personne a le droit de vivre et qu'il est impossible de vivre sans argent pour se procurer les produits.

C'est pourquoi le Crédit Social propose:

  1. – L'établissement d'un Office de Crédit (national ou provincial), qui tiendrait la comptabilité de la production globale et de la consommation (ou destruction, ou dépréciation) globale, dans le pays ou la province. L'Office actuel des Statistiques fournit déjà presque tous ces renseignements; une estimation approximative est d'ailleurs suffisante.
  2. – Un pouvoir d'achat global en rapport avec la capacité de production, et équitablement réparti entre les membres de la société:
  3. Par des récompenses au travail, comme aujourd'hui, distribuées par l'industrie elle-même.
  4. Par un dividende périodique à chaque personne, employée ou non, de la naissance à la mort, pour assurer au moins une part suffisante pour vivre; ce dividende serait distribué par l'Office de Crédit.
  5. Par un abaissement des prix, un escompte général bannissant toute inflation; cet escompte serait compensé au vendeur par l'Office de Crédit.

Où cet Office de Crédit prendrait-il l'argent pour les dividendes et pour les compensations au vendeur en retour de l'escompte?

Puisque l'argent est un chiffre qui permet de commander des choses à la production du pays, l'Office de Crédit ferait simplement ces chiffres dans la mesure où la capacité de production peut y répondre. Affaire de comptabilité.

Ces chiffres peuvent très bien être de simples inscriptions de crédit dans un compte ouvert à chaque citoyen; et un simple chèque sur le crédit national (ou provincial) adressé au vendeur sur présentation de ses bordereaux d'escomptes.

Impossible, et inutile, de fournir ici des détails techniques. Les modalités d'application sont d'ailleurs variées. (Une façon possible est expliquée dans la brochure «Une finance saine et efficace».)

Croyez-vous que ces crédits-là circuleraient et seraient acceptés comme de l'argent?

Certainement. Ils circulent et sont acceptés aujourd'hui. Les prêts ou découverts aux industriels, aux commerçants; les crédits qui ont permis à Mackenzie King, à Roosevelt, à Churchill, et aux autres, de faire six années de boucherie humaine – tout cela n'est et n'était ni de l'or, ni même du papier, mais de simples chiffres inscrits dans des comptes et mobilisés par des chèques.

Mais croyez-vous qu'un système d'argent, ça se mène comme ça?

Aimez-vous mieux que ce soit l'argent qui mène les hommes?

Remarquez bien, d'ailleurs, qu'il n'y a rien d'arbitraire dans la comptabilité monétaire proposée par le Crédit Social. La production reste le fait des producteurs eux-mêmes. La consommation reste le fait et le choix des consommateurs eux-mêmes. Les comptables de l'Office de Crédit ne font que relever les totaux; ils en déduisent mathématiquement ce qui manque d'un côté pour le rendre égal à l'autre.

Il n'y a donc ni expropriations, ni nationalisations, ni décrets dictant ce qu'il faut produire ou ce qu'il faut consommer. Le Crédit Social est une démocratie économique parfaite. Tout demeure l'affaire d'hommes libres. Bien plus libres qu'aujourd'hui, parce que des consommateurs munis d'un pouvoir d'achat suffisant commanderaient bien plus librement les produits de leur choix que ceux dont le porte-monnaie est toujours maigre et souvent vide.

Louis Even

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